Besoin d'inspiration [R. Leo]

Le gros cliché du photographe. Le truc incroyablement bateau, mais sublime, la photo qui vous définit le mieux, celle dont vous êtes fier pendant de longs moments, celle qui vous coupe le souffle. Celle qui est venue naître entre vos propres mains, qui vous a autorisé à la posséder pour toujours.
J’ai fermé les yeux, les paupières lourdes et fatiguées, dans la seule pièce en ordre de l’appartement. Celle qui voyait défiler tous les clichés pris dans la journée, la salle du développement. J’étais rarement satisfait des photos que je prenais, comme tous bon chieur qui se respecte, mais certaines avaient le don de me transporter, de me rendre un peu plus léger. Celles-là, en général, je les gardais pour moi. Elles restaient accrochées dans la salle, les unes au dessus des autres, les miniatures posées un peu plus loin.
La plus récentes surmontait la pile, accrochée à un fil par une pince à linge. La regarder me fit un drôle d’effet. Elle datait de quelques soirées auparavant, immortalisait une place, une fontaine en arrière plan, et des yeux. Des yeux d’un brun terrible, foncés, profonds, de ceux qui vous envoutent. J’étais à peu près sûr que tout ça ressemblait à de l’affection, mais rien que l’idée m’ennuyait – pour ne pas dire m’emmerdait – profondément. Hors de question de revivre quoi que ce soit du genre.

Je me suis extirpé de la chambre noire, allumant une énième cigarette pour arrêter de penser. Le salon était un peu mieux rangé que d’habitude, mais j’avais la flemme de ramasser les tasses qui trainaient par-ci, par là. Ce soir serait une soirée sans femme. Personne ne viendrait ici. Je le savais, même si je ne comprenais pas bien pourquoi.
J’ai hésité entre descendre, prendre mes jambes à mon cou jusqu’au Gino’s, où bossait Savannah, mais je savais qu’elle avait compris que quelque chose était différent. Elle nous avait vu partir, Leo & moi, ce soir là, et quand elle m’avait questionné, j’avais été relativement expéditif.

Il ne s’était rien passé. Et c’était bien là la différence. J’aurais pu la ramener, lui faire l’amour et la congédier le lendemain. Rien n’aurait changé de d’habitude. Mais non, il avait fallu que je déballe ma vie pitoyable, ma situation douteuse, que je lui raconte tout comme un enfant qui se confesse. Je n’avais pas pu m’empêcher, et l’écoutant en retour, j’avais été touché. Je n’étais pas fait pour ce genre de choses. Les confessions, la profondeur, tout ça n’était réservé qu’à moi. Personne ne m’analysait jamais, ne pénétrait jamais la profondeur de mes pensées. C’était comme ça depuis toujours, et ça ne devait pas changer, je ne savais que trop bien le risque auquel on se prêtait en commençant à s’attacher, à se laisser aller.

J’ai enfilé une veste treilli verte, et j’ai attrapé mes clés, un paquet de cigarette neuf, l’appareil photo et je suis sorti. Direction la place, la fameuse. Je n’avais pas réellement l’intention de prendre des photos, mais on ne savait jamais.
Je me suis installé sur un banc, une fois arrivé là-bas. Pour regarder les gens passer, sans jamais me douter qu’elle, elle passerait.
Je crois que parfois, le hasard se fout bien de notre gueule.

Je me suis levé, lentement. Soupirant légèrement, un peu angoissé. Me suis avancé d’un pas hésitant dont j’étais peu coutumier. J’ai braqué mon appareil et me suis planté devant elle. « Ne bouge pas ! », j’ai lancé, en espérant qu’elle s’arrête.

Parfait. Ce bouquet était parfait. Léo y avait mis du temps, de l’amour et tout son cœur. Mais bien évidemment il n’était pas pour elle. Elle avait du le réaliser pour un charmant jeune homme, à peine trentenaire, qui comptait l’offrir pour sa fiancée. Il s’était senti obligé de lui préciser qu’aujourd’hui, ils fêtaient leurs 3 ans et que tout allait pour le mieux. En le voyant revenir dans sa boutique pour le récupérer, la jeune Silva avait eu une vision d’elle le frappant avec le bouquet de toutes ses forces. Et pourtant, c’était une pacifiste pure et dure. La seule fois où elle s’était battue, c’était à l’école primaire quand Consuela Vitra avait coupé les cheveux de sa barbie ballerine. Léo lui avait alors mis la tête dans le sable. Mais à part, ce petit égarement, elle avait toujours prôné l’amour et la paix. Jusqu’à aujourd’hui. Tous les couples la rendaient malades. Elle sait que c’est de la jalousie. C’est aussi simple que ça. La jalousie la dévore ces derniers temps et elle en connait la raison.

Roméo. Roméo, ça sonne bien n’est ce pas ? Si elle le pouvait, Léo laisserait rouler ce nom sur cette langue toute la journée. Elle arrivait pas à croire que cette nuit avait vraiment eu lieu. Quand elle l’avait rencontré, elle était persuadée qu’il était le genre à enchainer les filles. Mais eux, ils avaient même pas couchés ensemble. Ils avaient parlé. Toute la nuit. Elle s’était dévoilée comme jamais auparavant. Ca l’avait surprise au début de se laisser aller si facilement, mais au final, ça lui avait fait beaucoup de bien. Puis ça avait été son tour. Il lui avait parlé de sa vie, de sa passion pour la photographie et elle avait été touché et charmé par cette douleur et cette tendresse qu’il cachait sous son air de playboy. Et depuis, elle n’arrivait plus à le sortir de sa tête. Elle pensait à lui le matin, en se réveillant. Elle pensait à lui à midi quand elle passait devant le bar où ils s’étaient rencontrés. Elle pensait à lui le soir en se brossant les dents. Elle pensait à lui tout le temps et ça la rendait folle. Surtout qu’elle savait parfaitement que ce n’était qu’une parenthèse. Une jolie parenthèse dans leurs deux existences ternes.

Elle souffla pour la millième fois aujourd’hui. Elle se trainait comme une âme en peine où qu’elle aille. Elle tendit son bouquet à son dernier client et ferma le magasin. Il était temps qu’elle rentre chez elle ou qu’elle change les choses. Enfilant son gros gilet en laine, elle attrapa son sac à main et sorti de la boutique, après avoir vérifié deux fois que tout était bien fermé et à sa place. Elle tourna trois fois la poignée de la porte pour s’assurer qu’elle l’avait bien fermé. Elle décida de profiter de la douce fraicheur de début de soirée pour marcher. Sans faire attention à ses pas, elle se retrouva à la piazza trevi. Un sourire triste peigna son visage. Tous les couples venaient ici pour faire le vœu d’être ensemble pour l’éternité. Une idée lui traversa l’esprit. C’était peut être son unique chance de changer les choses. Elle farfouilla dans son sac à la recherche de son portefeuille et d’une pièce pour la jeter dans la fontaine. Un ah ah fort s’échappa de ses lèvres quand elle la trouva et tous les regards se posèrent sur elle, mais elle s’en moquait. Elle venait d’obtenir sa chance pour l’amour. Elle s’approcha de la fontaine et jeta sa pièce, sans oublier de faire un vœu. « Ne bouge pas ! » Forcément, Léo bougea. Elle tourna la tête tellement vite qu’elle était presque sur de s’être fait un torticolis. Ses mèches folles vinrent lui barrer la vue. Elle les enleva de devant ses yeux, les remis derrière ses oreilles et ses yeux lui donnèrent la confirmation de ce que son ouïe lui avait laissé croire. Il était là. Devant elle. Caché derrière son appareil, mais peu importe. Il était là. Un sourire illumina le visage de la jolie brune. Elle l’avait attendu toute la semaine et elle l’avait enfin trouvé. A croire que les vœux se réalisent parfois.

« J’ai le droit de respirer au moins ? » demanda-t-elle, dans un sourire mi amusée, mi timide. Elle ne savait pas trop comment réagir face à lui. Le bruit fit un clic distinct, alors elle fit ce qu’elle savait le mieux faire. Elle baissa la tête et ses joues rosirent sous la gêne.

J’ai appuyé sur le déclencheur pour immortaliser le moment, comme s’il allait m’échapper une nouvelle fois, sortir de mon contrôle.
J’étais empli d’une étrange sensation d’excitation qui m’était, elle pour le coup, peu familière, moi qui étais plutôt habitué à ne plus rien ressentir. J’ignorai vraiment pourquoi, mais sa présence ne me laissait pas indifférent, et l’idée m’angoissait autant qu’elle m’attirait. « Je ne peux, techniquement pas t’empêcher de respirer », ai-je soufflé en baissant l’appareil, tandis qu’elle baissait les yeux vers ses chaussures. Ses joues devinrent rouges, comme si elle était gênée. Je me suis approché doucement, et j’ai souri un peu, me voulant réconfortant. « Sans te toucher, en tout cas », ai-je ajouté dans un clin d’œil. J’ai caché l’appareil sous ma veste, et j’ai jeté un œil vers la fontaine derrière elle.

« Tu es venue faire un vœu ? ». Quelques jours auparavant, je me serai sans doute demander ce qu’une fille comme elle, qui avait clairement l’air d’avoir tout ce qu’elle voulait, pouvait bien espérer de plus, mais je savais aujourd’hui que c’était différent pour elle. Comme elle savait où se situait la différence pour moi. L’abandon, l’échec, puis la vie simplissime, sans prise de tête. Je n’avais jamais autant parlé que cette nuit là. Jamais autant désiré parler encore plus, alors même que je savais qu’il me fallait tenir ma langue. Pour arrêter de m’exposer.
J’ai enfoncé ma main dans ma poche, pour en ressortir une minuscule pièce à faible valeur, et une cigarette. J’ai jeté la pièce dans l’eau à mon tour, sans rien dire, haussant une épaule doucement, puis j’ai allumé ma cigarette, inspirant une longue taffe pour tenter de me détendre un peu. J’ignorais quelle était exactement la raison de mon inquiétude, bien qu’ayant une légère idée encore vague. Je me suis balancé un peu sur mes deux jambes comme un enfant, cherchant les mots qu’il serait judicieux de sortir.

« Qu’est-ce que tu fais ici à cette heure tardive ? » J’ai haussé un sourcil, trouvant la question d’une banalité affligeante, surtout après les conversations que nous avions eues tous les deux quelques jours auparavant. En réalité, avoir raconté ne me dérangeait pas. Mais j’avais désormais l’impression d’être exposé à un risque permanent, comme si elle allait prendre tous mes secrets, mes états d’âme et me les balancer à la figure. Je n’aimais pas me sentir en position de faiblesse, et j’étais directement exposé. Ma mère aurait traiter tout ça de vaste connerie sans doute, elle qui ne jurait que par les relations à l’autre et tous ces trucs. Moi, j’avais appris qu’à un moment donné, mieux vaut être seul et ne plus ressentir. Ca vous évite surtout d’avoir mal. « C’est pas très prudent, une jeune fille toute seule… »

Elle avait eu envie de le voir toute la semaine. Depuis qu’elle avait quitté son appartement ce matin là, elle n’avait pensé qu’à lui. Quelque chose c’était passé cette nuit là. Et dans la vie d’une fille comme Leo, ça n’arrive pas souvent. Ca ne lui était jamais arrivé, en réalité. Généralement, les hommes la veulent pour du sexe ou avant, ils la voulaient pour son argent et pour être sous les projecteurs quelques heures. Mais pas lui. Du moins, c’est ce qu’elle voulait croire. A sa phrase, elle eu envie de lui crier touche moi, empêche moi de respirer. Mais d’après son éducation, les filles ne font pas ce genre de choses. Pour tout vous dire, Leo ne serait même pas capable de draguer, intentionnellement bien sur. Ses joues s’empourprèrent.

« Oui. » murmura-t-elle, la gorge sèche. Elle ne comprenait pas pourquoi elle avait du mal à former une phrase maintenant qu’elle l’avait face à lui. Elle avait été une véritable pipelette durant toute la nuit. Elle avait parlé de tout, de son passé, de ses blessures, de ses peurs et de ses doutes. Elle avait parlé de ses aspirations dans la vie et de ses rêves. Mais maintenant, elle était incapable de former une pensée cohérente et encore moins une phrase. Elle prit une grande bouffée d’air pour reprendre le contrôle sur ses nerfs. « On est tous là pour ça non ? Faire un vœu, espérer que nos rêves se réalisent.» Elle le regarda jeter sa pièce, qui atterri non loin de la sienne. Peut être que lui aussi avait fait le vœu de repasser du temps avec elle.

« Qu’est ce que t’as souhaité ? » demanda-t-elle. Elle était presque sûre que ça avait avoir avec la photographie, sa passion et son travail. « T’as pas besoin de faire un vœu pour ça. T’as ton talent. » se sentit-elle obligé de rajouter, tout en désignant son appareil photo. Elle avait vu quelques une de ses photos et elle avait été touchée par la justesse de ses photos, par l’humanité qui s’en dégageait.

Un léger éclat de rire s’échappa des lèvres de la jolie brune. Elle ne se moquait pas. Oh non, elle n’aurait jamais osé. C’était juste nerveux. C’est comme s’ils savaient tous les deux les plus noirs secrets de l’autre mais n’avaient aucune idée de comment se parler. Le moment avait eu lieu. Cet instant parfait où on est en phase avec une personne. Mais il avait disparu et maintenant ce n’était que plus qu’un mélange de gêne et de nervosité. « Le magasin est dans la rue d’à côté. Le magasin de fleurs où je travaille.» rajouta-t-elle. Elle lui en avait parlé, mais c’est pas parce que ça avait de l’importance pour elle qu’il l’avait forcément retenu. Elle glissa ses mains dans sa veste et fixa ses pieds, intimidée par le jeune homme qui lui faisait face. En surface, ils n’avaient rien en commun. Ils étaient même à l’opposé l’un de l’autre, pourtant, elle ne s’était jamais senti aussi proche de quelqu’un avant cette nuit. « Je suppose que tu vas devoir me raccompagner chez moi alors. » répliqua-t-elle. Elle se surprit, elle-même, de sa remarque et du ton confiant qu’elle avait utilisé.

Les doutes s’éclipsaient petit à petit. C’était même plutôt agréable, au fond, de penser qu’il existait au moins une personne sur cette terre à qui je n’étais pas obligé de mentir sur mon passé, ma famille, et même sur ma vie. Elle savait. Elle prenait quand même le risque de discuter, de rester en face de moi, gênée, souriante, adorable. Elle savait et elle ne fuyait pas, dégoutée. Elle savait.
Cette pensée, enfouie, me fit sourire, tandis que je fixai la pièce qui allait s’échouer au fond de l’eau. Un vœu. Je ne savais pas exactement ce que je voulais, ni comment, dans quel domaine. Est-ce que ma vie actuelle était digne d’un vœu ? J’ai soupiré doucement, puis j’ai relevé les yeux vers elle, comme sortant d’un rêve. « Je fais jamais de vœu, d’habitude. Même pas quand je souffle les bougies. » En même temps, la dernière fois que j’avais fêté un anniversaire datait un peu. Je n’aimais pas ce jour, et ça n’était pas vraiment prêt de changer. Les années passaient, me donnant un an de plus, mais il était parfaitement inutile de marquer tout ça d’une pierre blanche.

« Si je te dis ce que j’ai souhaité, ça ne se réalisera pas. On t’a jamais précisé la close du contrat ? » J’ai souri un peu, lui adressant un clin d’œil de nouveau. Je me souvenais de ma mère, qui gardait toujours ses précieux vœux pour elle-même. Finalement, ça ne l’avait pas si bien réussie que ça… J’ai haussé une épaule, gêné du compliment qui suivi. « Le talent, c’est subjectif. » Hochement de la tête, un peu gêné. Je n’avais jamais été habitué à recevoir des compliments, ni même en réalité à en faire. J’étais plus doué pour faire l’ours, et pour ne pas discuter. En tout cas, il fallait bien le dire, je n’étais surtout pas friand de reconnaitre que ce que je pouvais faire avait un quelconque intérêt, à part exceptions exceptionnelles…

« Oh. » Son magasin. Je me souvenais. Curieusement, l’idée m’avait marqué. Je me suis plongé un instant supplémentaire dans mes pensées, oubliant la place, les gens, le froid, au profit d’une journée d’été, un soir chaud, quand les dernières fleurs invendues profitent des derniers rayons du soleil dans l’étalage de sa boutique. Elle devait être belle, au centre de toutes ces couleurs, qui devait rappeler la vivacité de ses traits, ses joues souvent rosies par la gêne ou l’amusement, ses lèvres habillées d’un sourire. « Un jour, tu me montreras ? » j’ai demandé, naturellement. Cela signifiait sans doute que nous serions amenés à nous revoir. Si quelques heures auparavant l’idée m’aurait effrayé, angoissé même, elle me paraissait juste logique, normale tout à coup. « J’aimerai prendre des photos », ai-je ajouté dans un sourire.

« Je n’y vois pas d’inconvénients. Mais attention, c’est peut être moi le type dangereux du coin, tu sais ? ». J’ai enfourné mes mains dans mes poches, m’assénant mentalement de réfléchir à deux fois à ce que je disais avant de l’ouvrir. « On sait jamais… ». L’idée de la voir rentrer seule me contrariait. En réalité, je crois que l’idée qu’elle avait besoin d’être protégée me plaisait, d’autant plus si je pouvais le faire. Je me suis de nouveau ordonné d’arrêter de penser de telles choses, et j’ai toussé un peu. « Mais si tu veux quand même prendre le risque… » Finalement, était-ce vraiment faux ? Un type d’un tout autre monde, avec une vie minable et des photos partout, ce n’était pas vraiment le rêve pour une fille pareille. Mais c’était sa décision, sa volonté. Je savais m’effacer, et le ferais s’il le fallait. Maintenant, ou plus tard, ça n’avait pas d’importance. Si je pouvais seulement toucher du doigt quelques moments de répit, de bonheur un peu moins fade que d’habitude, alors peut être le jeu en valait-il la chandelle ?
Je me suis repris de nouveau. Elle ne te demande que de la raccompagner, mon vieux. Là, tu dérailles…

Petit à petit, les doutes s’envolaient. Depuis leur nuit, elle s’était souvent dit que ça ne voulait rien dire. Que c’était une simple parenthèse dans leur monde un peu terne, mais au final, c’était peut être plus que ça. Sans s’en rendre compte, il avait redonné de l’espoir à Leo. Elle avait cessé de croire que quelqu’un pouvait s’intéresser à elle, surtout, une fois qu’il serait au courant de toutes ses névroses. Mais lui savait et il était encore là. Debout face à elle avec son sourire à damner un sain. Il savait tout et il lui parlait.

Un sourire s’épanouit sur les lèvres de la jeune Silva. Un sourire timide, mais un sourire sincère, comme elle n’en avait pas eu depuis bien longtemps. Son cœur prenait une allure un peu trop rapide à son gout face à son sourire. Elle était tentée de lui dire qu’il devrait sourire plus souvent, que ça lui allait vraiment bien, mais même dans sa tête ça faisait cliché alors elle s’abstint. « Les vœux n’ont aucun intérêt à se réaliser si t’as personne avec qui les partageait. » répliqua-t-elle du tac au tac. Elle la fille si timide se sentait battre des ailes face à lui et en plus de trouver ça étrange, elle trouvait ça assez inconfortable. Comme si elle pouvait s’écraser sur le bitume à tout moment. Elle le fixa quelques instants, attendri, face à son rejet de compliment. Il avait un talent monstre, mais n’en avait aucunement conscience.« Un jour, tu réaliseras que j’ai raison. Tu sais, une fois que tes photos vaudront des milliards. »

Le magasin de fleur était important pour Leo. C’était son premier grand projet, le seul qui avait une réelle importance dans sa vie. C’est ce qui avait donné un sens à son monde quand elle était arrivée à Rome, désabusée et désillusionnée. Avant cela, elle n’avait aucune idée de ce qu’elle voulait faire de sa vie et désormais elle se voyait uniquement vivre la vie simple et chaleureuse d’une fleuriste. La simplicité l’avait toujours attiré. Elle sourit à sa remarque, un sourire énorme qui alla jusqu’à ses yeux. Il s’en était souvenu et il voulait le voir. Elle ne savait pas s’il disait par politesse ou par sincérité, mais elle partait du principe qu’après leur révélations, ils ne pouvaient être qu’honnêtes l’un envers l’autre. « Tu peux passer quand tu veux. » affirma-t-elle. Le magasin était son élément. Pour une fois, elle n’aurait peut être pas l’air d’une gourde face à lui. « J’aurais jamais pensé que t’étais le genre de garçon à prendre en photo des fleurs. Même si cet endroit est magnifique. Toute ses couleurs et ses ...» Elle avait souvent tendance à s’emporter quand elle en parlait alors elle s’arrêta et sourit doucement pour cacher sa gêne.

« Si t’avais voulu me tuer, tu l’aurais fait l’autre nuit. » fit-elle remarquer. Elle remit une mèche de cheveux, qui venait lui barrer le visage, derrière son oreille, avant d’enfouir ses mains dans les poches de sa veste. « A moins que tu sois le genre de psychopathes qui aime extirper toutes sortes d'informations à ses victimes avant de les torturer.» Son souffle resta coincé dans sa gorge. Est-ce qu’elle voulait vraiment prendre ce risque ? D’un côté, tout le monde lui reprochait toujours de rester coincé dans sa petite vie, de ne jamais prendre de risque. Mais de l’autre, elle savait que plus le risque était grand, plus la chute était dur. Et elle ne savait pas si elle était assez courageuse pour survivre à cette chute sans fond vers la douleur. Elle le fixa quelques secondes, lui et ses mèches rebelles, lui et son sourire en coin, son regard expressif. La décision était vite prise. Parfois, le destin a seulement besoin d’un coup de pouce. Elle acquiesça. « J’ai déjà pris ce risque l’autre soir. » murmura-t-elle. Peut être que lui parlait uniquement du risque de meurtre, mais pour elle c’était plus que ça. Elle avait mis son cœur sur la table la dernière fois et elle était prête de prendre ce risque une nouvelle fois.

Partager des vœux. J’ai plongé mes yeux dans les siens un moment, me demandant s’il était possible que nos aspirations soient semblables, même pour un laps de temps minime. Etait-il possible qu’il veuille la même chose que moi ? Nous étions très différents, mais j’étais aussi à peu près sûr que nous avions des points communs malgré tout. J’ai remonté mon col de veste, souriant, un peu dans le vague. « On les partage plutôt une fois qu’ils se sont réalisés, non ? ». J’ai souri de plus belle, regardant les gens qui passaient autour de nous, rentraient chez eux sans faire attention aux détails, aux moments qui valaient vraiment la peine. C’en était un, du moins je le pensais, le ressentais comme ça. Un moment à vivre, à graver. Une pause dans la souffrance, l’effleurement du risque, du bout des doigts, le souffle coupé.

« Je n’ai pas envie qu’elles valent des milliards. Ce que je veux, c’est pouvoir faire une exposition, un jour. Tu sais, avec tous les meilleurs clichés, les plus beaux que j’ai jamais pris, ceux qui me font me sentir vide et vivant en même temps. Ceux qui m’empêchent de respirer. » Je parlais trop. C’était presque automatique, dès que j’étais avec elle je me remettais à raconter ma vie, des détails inutiles qui devaient lui donner envie de prendre ses jambes à son cou, de se boucher les oreilles, de parler de choses moins profondes, moins ennuyeuses. Non pas qu’elle n’était pas intelligente, ça non, je savais qu’elle l’était. « Je suis le genre de garçon qui prend en photo les belles choses, pourtant », ai-je murmuré doucement, un peu gêné à mon tour. « Tout ce qui est naturel et coloré m’inspire. C’est bizarre, pourtant, je suis pas très coloré moi-même, mais… Bref. » Ce que je voulais dire, évidemment, c’était qu’il en fallait beaucoup pour me rendre joyeux. Je le savais, ma compagnie avait parfois de quoi être déprimante.

Ma vie avait beau ne pas avoir été toujours facile, j’avais le sourire volontaire. Mais je savais aussi que beaucoup de gens n’appréciaient pas les pessimistes, toujours négatifs et jamais contents. Malheureusement, positiver ne faisait pas franchement parti de mon vocabulaire, et justement, avais-je réellement le droit de lui imposer mes ondes négatives, à elle qui semblait si fraiche, si volontaire à attraper les rayons de soleil qui l’entouraient ? J’ai soupiré de nouveau, signe que mes pensées me travaillaient un peu trop.

« Le genre pervers, tu veux dire ? » Amusé, j’ai secoué la tête. « Promis, je ne tenterai pas de t’assassiner ce soir. » J’ai souri timidement, hochant la tête. Elle avait déjà pris le risque. Que voulait-elle exactement dire par risque ? Je prenais le risque dans sa totalité. Le point de non retour. Trop tard pour reculer. « Hm. » J’ai relevé les yeux vers elle. « Tu veux marcher un peu ? » ai-je proposé. J’ai pris son sourire pour une approbation, et j’ai passé mon bras sous le sien pour l’entrainer un peu. Les contacts étaient rares, mais son bras autour du mien m’a donné l’étrange sensation d’être appaisé.

Faire des vœux. Ca lui avait toujours semblé bizarre cette notion qu’une entité supérieure pouvait réaliser les vœux que formulaient des gens autour d’une fontaine. Elle était plus le genre à penser que si on voulait que quelque chose se réalise, c’était à nous de mettre toutes les chances de notre côté. Ca ne l’avait, cependant, pas empêcher de jeter une pièce dans le bassin. Elle avait besoin de croire que tout n’était pas de son ressort et peut être que c’était là tout l’intérêt des vœux. Croire que quelque part, quelque chose ou quelqu’un s’assure que nos vœux se réalisent. Elle avait fait le vœu que le moment qu’ils avaient partagé se reproduise une nouvelle fois. Ce n’était peut être qu’une coïncidence ou peut être était ce la volonté de la fontaine, peu importait après tout. Elle a souri, de ce sourire timide qu’elle connait le mieux. « Mais s’ils se réalisent pas, t’auras personne avec qui les partageait. » répliqua-t-elle. Etre ici ce soir, dans la fraicheur nouvelle de l’automne, n’aurait aucun intérêt si elle n’était pas avec lui. Ce serait juste un soir comme un autre.

Un sourire s’étendit sur son visage. Il ne se rendait même pas compte avec quelle passion il parlait de la photographie. C’est pour cette raison qu’elle savait qu’il était doué. Il ne prenait pas une photo pour prendre une photo. Il prenait des photos parce que des moments l’inspiraient. « Tu te rends même pas compte de ce que t’es vraiment. T’es passionné et ...La passion est souvent associé au rouge alors tu dois être plus coloré que tu le penses. » Elle commença à faire quelque pas et ajouta ces quelques mots, avec une banalité inquiétante, comme si elle avait dit tu peux me passer le sel. « Et puis tu rends ma vie un peu plus coloré. » Elle n’aurait peut être pas du ça. Elle sait qu’elle a tendance à dire des choses qui effraient les gens, qui montre son côté complètement névrosé, mais avec lui, c’est comme si elle ne pouvait pas se censurer. Elle lui a dit déjà beaucoup de choses et pourtant il est là. Elle a cette impression que quoi qu’elle dise, il sera là. Elle a peut être tort mais pour le moment, tout lui semble naturel.

« Merci beaucoup. Ma mère aurait trouvé un moyen de me faire ressusciter juste pour me tuer après parce que mes chaussures ne sont pas assorti à ma veste et que tout les journaux auraient parlé de cette faute de gout. » avoua-t-elle très sérieusement. Elle était contente d’avoir pu échapper à l’emprise de sa famille mais parfois, elle lui manquait. Elle n’osait juste pas l’avouer. Elle avait pris le risque et pour la première fois dans sa vie, elle n’avait pas peur. Elle s’était ouverte à lui et quelque part entre les confessions et les sourires en demi-teintes, elle s’était attachée au jeune homme. Alors c’était bien trop tard. Elle ne pouvait plus retourner en arrière. Elle n’était pas sure de le vouloir de toute façon. Elle acquiesça à sa demande et lui souris doucement. Son cœur pris une allure anormalement rapide quand leur bras s’entrelacèrent. Elle était sûre que c’était pas normal. Elle risqua un regard dans sa direction, mais il se contenta de fixer un point précis devant lui, alors elle sourit, de ce sourire vrai et réelle qui reflétait la sincérité du moment.

« Je ne crois pas que les rêves se réalisent en général. Je crois qu’ils ont souvent besoin d’un coup de pouce. » Encore une vision désabusée. J’étais le parfait artiste abimé dans toute sa splendeur, à croire que j’avais acheté la panoplie complète pour une soirée déguisée. Il était difficile de comprendre, sans doute, vu de l’extérieur, pourquoi je ne tentais pas de me sortir de l’éternel état léthargique dans lequel je me trouvais à peu près à 90% du temps. Mes yeux se sont fixés de nouveau sur elle, tentant de découvrir ce qui, elle aussi, avait bien pu la blesser autrefois et la laisser fragile, délicate, presque en détresse. J’avais eu beau l’écouter toute une soirée, et lui parler, j’avais l’étrange impression qu’il me restait un million de chose à lui dire, et c’est presque dans un sentiment d’urgence qu’une sensation de besoin monta en moi. J’ai toussé légèrement, tentant de revenir à la réalité de l’instant et non pas à la réalité que mon cerveau me hurlait de créer.

La perspective de ma soirée avait totalement changée, mais en réalité, je commençais à me demander si mon but, en venant ici ce soir, n’avait pas été secrètement de la retrouver. Quelles étaient les chances ? Plutôt bonnes, à priori, puisque la boutique n’était pas très loin. Mais je n’en savais rien, avant de partir, un peu plus tôt. Le destin, cette sordide idée bizarre avec laquelle certains aimaient se réconforter. Pas moi. Je ne croyais pas en ces choses là. « Coloré ? Rouge ? » L’idée me sembla vraiment bizarre, mais quelque peu séduisante. Si j’étais coloré, alors elle était arc-en-ciel. De toutes les filles que j’avais vu défiler, c'est-à-dire un certain nombre, je n’en avais jamais rencontré qui avait l’air aussi simple, aussi inspirante, aussi vivante. Rien que le souffle froid de la soirée qui colorait ses joues d’un rose léger me le prouvait. Sa phrase suivante me laissa perplexe. Etait-ce là un compliment, un message bizarre ? J’ai froncé le nez comme l’aurait fait un enfant devant une phrase compliqué. Des idées se bousculaient dans ma tête, mais je n’avais jamais été très doué pour formuler ce que je pensais réellement, et ce moment précis n’échappait pas à la règle. J’ai regardé un instant dans sa direction, bafouillant « Je… euh. » Le nez encore un peu plus froncé, j’ai souri du bout des lèvres, devenant, je le crains, un peu rouge moi-même. « Toi aussi, tu m’aides à mettre de la couleur. Hm. » C’était vrai. Terriblement gênant, mal dit, maladroit, mais elle était la palette de peinture dans mon paysage en noir et blanc du quotidien.

Coupant cours à ce moment qui me faisait rougir de plus en plus, elle me parla de sa mère. Je ris légèrement, murmurant, à la hâte, pour reprendre contenance : « Ce sont les gens qui s’accordent de partout qui font des fautes de goût ». J’ai hoché la tête, de nouveau, comme un enfant qui donne son accord, puis j’ai pris son bras, ne pouvant m’empêcher de sourire, jetant des regards furtifs dans sa direction. « Il va falloir que tu me guides par contre, je suis un psychopathe mal renseigné sur sa proie ».